Visite à Vesunna

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L’APHG Aquitaine renoue avec les excursions culturelles, occasion de découvrir ou de redécouvrir notre région, d’actualiser nos connaissances et de puiser des idées d’activités scolaires dans le cadre des programmes. Samedi 27 mai 2006, à Périgueux, visite du musée Vesunna, superbe réalisation de l’architecte Jean Nouvel, ouvert depuis 2003, qui a le double intérêt d’allier art contemporain et étude de la civilisation gallo-romaine. La visite était commentée avec sa simplicité et sa clarté coutumière par Jean-Pierre Bost, professeur émérite d’histoire romaine à l’Université de Bordeaux III.

 

La ville de Périgueux, chef-lieu de la cité des Petrocores possède d’importants vestiges gallo-romains. Ce phénomène s’explique par la richesse originelle de la ville romaine et les aléas de l’Histoire : la ville médiévale s’est développée autour de l’abbaye Saint-Front, située sur une colline voisine de la cité romaine. Périgueux, contrairement à Bordeaux par exemple, est une ville dont le centre actuel ne recouvre pas la cité antique. Les remparts de la fin du IIIe siècle (un impressionnant amoncellement de blocs issus d’édifices antérieurs) ont été partiellement conservés ainsi que la Tour Vésone, grand cylindre (25 m de hauteur, 20 m de diamètre) de briques et de pierres qui formait le cœur de l’ensemble religieux consacré à Vesunna, la divinité protectrice. Une partie de la ville romaine n’a pas été occultée par des constructions ultérieures. En 1959, à l’occasion des travaux préalables à l’urbanisation du quartier proche de la Tour Vésone, furent découverts des restes gallo-romains de grande ampleur : riche habitation ? lieu public ? édifice privé puis public ? Les archéologues en débattent encore. Le musée Vesunna est construit sur ces vestiges.

L’œuvre de Jean Nouvel
En 1993, la ville de Périgueux décidait d’édifier un nouveau musée consacré à son passé gallo-romain. Jean Nouvel, un architecte dont les œuvres commençaient à être remarquées, fut choisi. L’enjeu était difficile : comment rendre lisible et mettre en valeur près de 4 000 m2 de fouilles archéologiques ? Comment faire comprendre ce qu’avait été Périgueux antique ?
La solution proposée était simple dans son principe ; la réalisation relève de la prouesse technique : une ample toiture couvre sur 2 000 m2 une partie du site, uniquement portée par le mur du fond et de légers piliers latéraux métalliques. Les autres murs sont des parois de verre laissant passer la lumière, intégrant le musée dans le jardin avoisinant. De l’intérieur, le regard s’évade vers les frondaisons des arbres et les nuages qui parcourent le ciel. On aperçoit la Tour Vésone toute proche. L’éclairage naturel changeant anime les vestiges. Avancée du toit et nature des panneaux de verres sont calculées pour assurer des conditions thermiques stables, compatibles avec les exigences de la conservation d’objets anciens.
Le visiteur arrive au premier étage sur une mezzanine dominant l’espace de la domus fouillée dont le plan apparaît lisiblement. Ici sont présentés les objets et vitrines évoquant la cité de Périgueux. Puis il descend au rez-de-chaussée et chemine sur des allées de bois à l’emplacement des couloirs et passages qu’empruntaient les anciens Gallo-Romains, mais à près de deux mètres au dessus du sol antique ce qui permet, en vue plongeante, d’apprécier le décor intérieur des pièces. Les panneaux explicatifs - excellemment rédigés - à partir des éléments trouvés sur place, présentent les principaux traits de la civilisation gallo-romaine. Débutant ou étudiants avancés y trouveront leur compte.
Pour ceux qui désireront y amener des élèves, rien n’interdit d’attirer leur attention sur l’originalité de notre époque qui est la première à consacrer des sommes aussi importantes à la mise en valeur du passé et à confier la réalisation du musée aux plus grands architectes. À côté des historiens et des conservateurs ont travaillé des scénographes et des décorateurs. Le musée d’aujourd’hui peut aussi être une œuvre d’art.

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Les collections
Du chapiteau corinthien à la pince à épiler en bronze, de l’hypocauste à la céramique sigillée, les professeurs trouveront à Vesunna tout ce qui caractérise l’environnement culturel et quotidien de l’Empire romain. Selon leurs objectifs, l’âge et le niveau des élèves, ils pourront faire identifier et comparer les objets avec ceux en usage aujourd’hui ou essayer de faire comprendre ce phénomène complexe qu’a été la romanisation.
Principaux thèmes abordés :
- premier étage : la cité romaine et la vie publique : vie municipale (équipements urbains, décor…) ; le monde des morts et des dieux (cultes officiels, dieux romains et locaux, cultes orientaux) ; commerce et échanges… Une belle maquette de Périgueux antique permet de localiser et de synthétiser les données essentielles.
- rez-de-chaussée : domus et vie privée : les habitations, les peintures murales, l’eau, les soins du corps, la nourriture, les jeux, les activités artisanales…
Exceptionnels : l’ensemble de fresques du milieu du Ier siècle (gladiateurs, poissons…) conservées in situ sur près d’un mètre de hauteur ; la pompe élévatrice à eau.
Les élites Pétrocores se caractérisaient par leur goût du luxe et de l’ostentation : les revêtements de marbre venaient des Pyrénées mais aussi d’Italie, de Grèce, de Tunisie et de Turquie. Les peintres avaient été formés en Narbonnaise par les meilleurs artistes selon les normes classiques. Les lettres des inscriptions ont 45 cm de hauteur ce qui correspondait probablement à des portiques de 300 m de longueur… Le nom d’une grande famille de magistrats évergètes est connu : les Pompeii. Reste à savoir d’où provenait l’argent dans un Périgord aux aptitudes agricoles limitées : mines de fer ou d’or ? forêts ? troupeaux ?
La visite du musée peut se prolonger par celles de la Tour Vésone et du rempart romain tout proches.

Claude Ribéra-Pervillé

Jean Nouvel
Architecte français né à Fumel (Lot-et-Garonne) en 1945. Les œuvres de ses ateliers se trouvent dans le monde entier. Il est spécialisé dans les équipements liés à l’art : opéras (Lyon), centres culturels et surtout musées. À Paris, on lui doit l’Institut du monde arabe, la Fondation Cartier et tout récemment le Musée du quai Branly. En Aquitaine, il a rénové l’église Sainte-Marie de Sarlat ; les amateurs de luxe contemporain peuvent aller à l’hôtel Saint-James de Bouliac (Gironde).
http://www.jeannouvel.com/

Musée Vesunna
20 rue du 26e RI
24000 Périgueux
05 53 53 00 92
Un service pédagogique peut prendre en charge les visites mais on ne saurait trop conseiller à l’enseignant de se rendre sur place avant d’y amener les classes.

Pour en savoir plus
Sur Périgueux antique :
excellente synthèse dans Guide archéologique de l’Aquitaine, Bordeaux, Ausonius éditions, 2004, pages 141 à 161
Sur le musée :
Élisabeth Pénisson, Vesunna, Bordeaux, Éditions Sud-Ouest, 2005
http://www.semitour.com/

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Fiche étude
LA CITÉ DES PÉTROCORES : UN EXEMPLE DE ROMANISATION DE LA GAULE
Jacques Baysselance

Une cité à replacer dans le cadre de la romanisation de la Gaule
-58 /-50 : conquête
-50 / -30 : Gaule plus ou moins abandonnée par les Romains «occupés» par guerre civile
-15 : Agrippa, ami du futur Auguste organise la division de la Gaule en un réseau administratif de provinces et cités et trace les bases du réseau routier
Le site de Périgueux : un village gaulois dans les collines de la rive gauche de l’Isle avec un solide rempart de terre et peu de constructions. La ville romaine s’installe en contrebas, sur la rive droite, dans un méandre de l’Isle.

1. Construire une cité, un vrai projet politique et urbain
La cité romaine correspond à un projet de vie sociale et d’organisation politique.

1.1. La ville doit «faire du citoyen» et créer un ordre administratif : conseil municipal et magistrats.
- Un pouvoir municipal collégial, duumvirs
- Rôle essentiel de la perception des impôts pour l’État, avec magistrats responsables sur leurs propres deniers
- Intégration des indigènes dans citoyenneté romaine

1.2. La ville doit « faire du citadin » c’est-à-dire du « civilisé », qui vit selon des normes
- Plan orthogonal : symbole d’ordre et d’organisation, de pouvoir qui domine et structure
- Primat de l’espace public urbain sur l’espace privé
sanctuaire de Vesunna : 120 m x 100 m
forum : 200 m x 100 m
amphithéâtre : ellipse de 100 m, 20 000 spectateurs ?
+ thermes, places, fontaines…
- Un espace public qui éduque le citadin, lui offre un décor somptueux dont il profite dès qu’il sort ; et Périgueux a « vu grand » : l’ostentation crée un esprit municipal et permet éducation artistique du populaire
utilisation massive du placage de marbres colorés venus des Pyrénées, de Tunisie, de Turquie, d’Italie…/ le Carrare est réservé à la statuaire
fréquence des mosaïques, des décors peints, retrouvés en très grandes quantités ; les écoles de peinture de Narbonnaise ont essaimé dans toute la Gaule
monumentalité des inscriptions : des lettres de 45 cm de hauteur
- Existence de « confréries » se réunissant pour faire des vers selon les meilleures règles de la rhétorique : cf pot découvert dans les fouilles portant une inscription condamnant à une amende le versificateur maladroit.


1.3. Une ville certainement marquée par de fortes tensions sociales
- Très grande distance sociale entre les élites et la masse des habitants.
- Origine floue de la fortune des élites : élevage au nord / céréales val de Dordogne ; ferrières déjà réputées, aurières ; autres matières premières ? rôle de la forêt ? La vie des élites suppose de très importants moyens.
- Artisans, petits commerçants… classes moyennes de la société romaine ?
Mais, pourtant pas de signes de révoltes sociales au 1er et 2e siècles.

1.4. Et si la romanisation atténuait les tensions sociales ?
- L’argent de l’élite sert à investir pour maintenir les revenus, tenir son rang / progresser dans la société, financer l’impôt (le magistrat en garantit le paiement), évergétisme (une dépense publique prise en charge par famille privée).
- Exemple de la famille des Pompeii à Vesuna : des «nouveaux riches» d’origine indigène qui ont pris en charge des constructions multiples dans l’espace public, sur plusieurs générations, pendant des décennies.
- Cette action des élites revient à mettre le beau et l’utile (fontaines…) à la disposition de tous, donc intègre les pauvres dans la société entière.

2. Le sanctuaire de Vesunna, un signe évident de romanisation
2.1. Vesunna, une déesse tutélaire locale romanisée / un sanctuaire dédié à de nombreux dieux. La cella a une forme d’origine indigène : tour ronde et massive ; elle est entourée d’un péristyle. Cette construction selon les techniques romaines aurait été impossible avant conquête.
Mur de blocage grossier recouvert par un appareil de petits moellons très réguliers. Côté extérieur de la tour recouvert d’ex-voto, de statues… Côté intérieur décoré de marbres tenus par des agrafes métalliques.
2.2. Culte impérial
L’empereur assure la paix, il est la providence («celui qui voit devant») de toute vie individuelle : l’énergie bienfaitrice et exceptionnelle de vigueur qu’il déploie dans le gouvernement mérite la reconnaissance des citoyens. C’est moins sa personne qui est divinisée en tant que telle mais la force qu’il représente et manifeste.
Rôle fort de l’espace public, évergétisme, respect du «bon empereur»… des éléments qui favorisent l’intégration de toutes les classes dans la société et réduisent ou masquent les tensions.

3. Une cité réduite au Bas Empire
La construction des remparts correspond à un décret impérial. Repliée derrière ses murs soigneusement construits avec les pierres prises sur les monuments laissés à l’extérieur, Périgueux n’est plus une ville ouverte. Les premières invasions barbares ne l’ont pas touchée mais le contexte économique a changé.


http://www.ville-perigueux.fr/pagesEditos.asp?IDPAGE=75&cnf=|79D35A7F

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