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Comptes-rendus
de Lecture
SCOTT,
Allen J., Les régions et l’économie mondiale,
L'Harmattan, 2001, 220p.
Liste
des comptes-rendus de lecture
Allen
J. Scott, géographe anglais qui enseigne à Los Angelès,
est une figure majeure de la géographie contemporaine encore trop
mal connu en France. Son dernier ouvrage se propose de dresser un bilan
des évolutions récentes et leur incidence sur le fonctionnement
de nos sociétés.
Les deux derniers siècles ont été marqués
par l’aboutissement d’un processus de structuration des cadres
géographiques de l’économie politique du monde selon
la logique centre-périphérie. Celle-ci fonctionnait à
deux niveaux d’échelle: mondiale tout d’abord, nationale
ensuite car avec le renforcement des Etats-nations, l’économie
s’était développée dans ce cadre de référence.
Entre Etats, les relations et interdépendances économiques
reposaient sur l’équilibre des forces de coalitions politiques
changeantes : nos relations avec l’Allemagne, la Russie devenue
Union Soviétique ou les Etats-Unis en témoignent. «Ce
palimpseste complexe est encore tout à fait évident dans
le monde d'aujourd'hui, et il persistera sans aucun doute dans l'avenir
pendant une période considérable.»
Pourtant, ce dernier quart de siècle est caractérisé
par l'accélération de deux phénomènes contradictoires:
des tendances centrifuges et centripètes sont à l'oeuvre
qui déstructurent les cadres spatiaux, économiques, sociaux
et politiques que nous croyions établis de toute éternité.
Nous vivons en effet une «mutation géopolitique majeure des
conditions de production, de compétition et d'interdépendance».
Cette transition, encore très incomplète, nous fait passer
«d'un système économique international à un
système économique global».
On assiste ainsi à une «fragmentation partielle des économies
nationales et leur reconfiguration dans une mosaïque globale de régions».
Si on préfère, à l'ancien régime international
enraciné dans un système relativement stable d'Etats souverains
organisant une hiérarchie interne de gouvernements locaux se substitue
un ordre global diffus où les interrelations entre Etats sont vivement
concurrencées par des interrelations entre des économies
régionales éloignées: «nous pouvons observer
à la fois une croissance vigoureuse et continue des supers-agglomérations
régionales et l'émergence de nouveaux noeuds majeurs d'activité
économique en des lieux de plus en plus éloignés.»
Les échanges y sont complexes, «faits de compétition
et collaboration, souvent accompagnées par des expressions nouvelles
d'auto-affirmation régionale.»
Et c'est bien-là que l'ouvrage trouve tout son intérêt:
à cette description devenue banale de l'évolution économique
contemporaine, Allen Scott ajoute une exploration plus théorique
des dynamiques de localisation des systèmes économiques
modernes. Dans un tel contexte, les notions de proximité spatiale,
les phénomènes de diffusion, de hiérarchisation,
les relations centre-périphérie tels que nous étions
habitués à les envisager sont à reconsidérer.
A ce titre, c'est un véritable manuel à conseiller aux étudiants
en géographie comme ceux d'économie, mais aussi à
l'honnête homme, au citoyen. Dans une langue simple, bien servie
par une traduction très précise, il permet au plus grand
nombre d'aborder grâce à son abondante bibliographie un champ
de réflexion anglo-saxon encore peu diffusé en France et
limité aux spécialistes.
Mais - et c'est peut-être sa principale qualité- l'ouvrage
de Scott ne se limite pas à la géographie économique:
son projet ambitionne de mettre en lumière les modes de régulation
sociaux associés. Or, les bouleversements économiques contemporains
induisent des transformations et innovations institutionnelles. Comment
les envisager?
Se pose en effet le problème de l'évolution de l'Etat-nation:
s'il est exagéré de parler de dépérissement
à son sujet, on doit cependant lucidement s'interroger sur le découplage
en cours des liens entre économie nationale et Etat souverain,
en bref sur l'évolution de la notion de souveraineté économique.
Emergent et vont encore devoir émerger de nouvelles formes de gouvernance,
de régulation (du local au global).
Certains éléments montrent déjà l'apparition
d’alliances, qu'elles s'efforcent de dépasser le supranational
comme l'Union Européenne, le projet Airbus ou qu'elles soient infranationales,
limitrophes ou pas, ainsi le partenariat Bade-Wurtenberg- Lombardie- Catalogne-
Rhône-Alpes. Celles-ci préfigurent cette évolution
mais doivent être aussi encadrées de façon à
ne pas causer à l'Etat comme aux autres régions des dégats
plus importants que les bénéfices attendus de l'opération:
le cas de la Belgique, toute entière représentée
dans l'Eurorégion Kent- Nord-Pas-de-Calais- Flandres- Wallonnie-
Bruxelles, pour se réinventer une cohérence, est éloquent.
«Finalement, la renaissance des régions comme foyers de l'activité
économique et politique offre un grand nombre de possibilités
nouvelles pour la réfection de la vie communautaire, et plus particulièrement
pour repenser les questions contemporaines essentielles de la citoyenneté
et de la démocratie dans le contexte de la société
locale.»
C'est cependant peut-être sur ces points qu'on peut regretter que
l'approche soit surtout économique, surtout descriptive et ne s'interroge
pas plus sur les fondements, les incidences d'une véritable révolution
proprement culturelle, de civilisation, puisque s'impose la nécessité
de redéfinir les formes classiques du gouvernement national héritées
des XVIIe et XVIIIe siècles.
Il demeure que malgré cette faiblesse -mais l'auteur n'a pas l'ambition,
déjà vaste, d'aller au-delà de ce qu'il annonce en
titre- c'est une excellente synthèse sur une question qui suscite
beaucoup de commentaires, de bêtises et bien peu de définitions
rigoureuses: certes le monde se retrécit, certes l'exotique, «en
tant que catégorie expérimentale pleine de sens» disparaît,
mais il convient aussi d'éviter d'exagérer cette globalisation,
d'en faire un épouvantail commode pour des dysfonctionnements beaucoup
plus classiques: n'imaginons pas la disparition d'un Etat territorial
qui restera dominant mais sous des formes, avec un rôle différent
tandis que certaines prérogatives seront exercées dans d'autres
cadres, spatiaux mais aussi institutionnels qui restent à définir
contre «les avocats des politiques néo-conservatrices actuellement
en vogue et leur glorification des relations sociales privatisées,
atomistiques et concurrentielles, leur aversion irrationnelles pour tout
ce qui s’oriente vers le choix collectif en matière économique.»
Un beau livre pour un beau projet.
D. Crozat
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