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Comptes-rendus
de Lecture
COHOU
Michel, Le destin d’une voie rapide : jeu d’acteurs, enjeu
de développement. Collection « Villes et territoires
», Presses Universitaires du Mirail, Mars 2000, 165 p. et 21 figures
Liste
des comptes-rendus de lecture
Dans
cet ouvrage, publié il y a déjà deux ans, Michel
Cohou, Maître de Conférences à l’université
Toulouse le Mirail, analyse la manière dont s’élabore
une infrastructure autoroutière et, surtout, cherche à comprendre
le rôle des différents acteurs sociaux tant dans cette réalisation
que dans les recompositions territoriales qui l’accompagnent. Pour
y parvenir il fait cinq propositions qui constituent autant d’hypothèses
de recherche. Une autoroute accompagne la croissance et répond
à une nécessite économique, elle ne peut se faire
sans volonté politique forte, elle agit comme accélérateur
du développement, elle modifie les représentations locales
et perturbe les certitudes ce qui nous amène à la cinquième
proposition, l’autoroute est un facteur de recomposition territoriale.
La démonstration, qui porte sur l’autoroute entre Toulouse
et Albi, plus particulièrement dans sa partie tarnaise, est construite
en deux parties : « les collectivités territoriales au cœur
du projet d’aménagement » et « autoroute et développement
». Plusieurs résultats de cette étude étaient
prévisibles d’avance : diversité des opinions des
élus et des professionnels en ce qui concerne la nécessité
de cette infrastructure et le tracé, accroissement du trafic, multiplication
des zones d’activité à proximité des diffuseurs
d’autant plus facilement que l’ouvrage est gratuit, transfert
d’entreprises cherchant à profiter de cet outil de désenclavement.
L’intérêt plus novateur de ce travail tient surtout
aux pages qui traitent de la durée, des enjeux territoriaux et
des jeux d’acteurs. Trente année auront été
nécessaires pour ouvrir cette infrastructure entre la rocade de
Toulouse et celle d’Albi. M. Cohou démontre avec rigueur
que cette réalisation, non prioritaire aux yeux de l’Etat,
a pu tout de même avancer à partir du moment ou les collectivités
territoriales ont pesé de tous leurs poids dans les négociations,
notamment le Conseil Général du Tarn qui a investi de manière
forte (une première en France) afin de débloquer la situation.
Les relations avec des ministres du gouvernement, l’arrivée
de M. Censi, président du Conseil Général de l’Aveyron,
à la tête de la Région Midi-Pyrénées,
son souhait de faire de Rodez une place importante sur l’axe Toulouse-Lyon,
le lobbying auprès de Bruxelles pour faire reconnaître l’importance
de cette liaison vers la dorsale européenne, constituent autant
de facteurs favorables. Mais il a fallu du temps, de la persévérance
et il en faut encore puisque le contournement d’Albi est toujours
à l’étude et que la suite des travaux vers Lyon demeure
hypothétique.
Tous les apports de cette recherche sur les enjeux territoriaux et les
recompositions territoriales donnent aussi une grande valeur à
cet ouvrage. Cette autoroute de désenclavement aurait pu mieux
irriguer le département du Tarn en passant entre Albi et Castres
les deux principales villes. Il n’en pas été ainsi
parce que le nord du Tarn a été touché plus tôt
par la crise économique (bassin charbonnier et industriel de Carmaux),
parce que l’enjeu de cette nouvelle infrastructure n’a pas
suffisamment mobilisé les élus autour d’un projet,
parce qu’un voie rapide a pour principal mérite de relier
plus rapidement deux points et non pas un espace placé entre les
deux principaux pôles urbains et économiques du département.
Aussi, le sud du département du Tarn réclame désormais,
de manière urgente, une voie rapide en direction de Toulouse afin
de contrebalancer les effets positifs de la nouvelle liaison entre Toulouse
et Albi. Tout au long de la zone tarnaise traversée, l’autoroute
a poussé les élus à développer l’intercommunalité.
Certes, la volonté de regrouper un maximum de communes n’a
pas abouti, mais une série de communautés de communes, de
nature plutôt cantonale, ont vu le jour.
L’auteur a également fait un travail remarquable sur les
acteurs et les enjeux. Il a pris la peine de proposer un ensemble de figures
mettant en rapport les différents acteurs et les différents
territoires. La figure 1 synthétise l’aménagement
de l’autoroute, ses acteurs et ses enjeux. Sur le même principe
d’autres figures, dans chaque chapitre, permettent de mettre en
perspective les forces en présence, les rapports de force, les
blocages, les interrelations. Tout juste mentionnera-t-on que ces schémas
ne sont pas toujours performants notamment quand il s’agit de symboliser
le rapport des acteurs à leur territoire.
Au final, M. Cohou livre un ouvrage à mettre dans les mains de
tous ceux qui travaillent sur l’aménagement du territoire,
l’aménagement régional et l’aménagement
urbain. Il offre une analyse des représentations sociales autour
d’un importante infrastructure et il permet de mesurer l’influence
des acteurs, principalement politiques, sur la réalisation d’un
investissement considéré comme peu prioritaire à
l’échelle de la France.
Si nous devions émettre un regret, - on ne peut pas en faire le
reproche à son auteur puisque ce n’est pas l’objectif
qu’il s’était assigné - , il porterait sur la
dimension économique de cette importante réalisation étalée
sur plusieurs années. Pas un mot sur ce que cet énorme investissement
a pu apporter ou pas à l’économie et aux entreprises
locales. L’effet actuel sur le tissu économique est rapidement
traité, souvent de manière indirecte. Certes il est mentionné
ici ou là des créations ou des transferts d’entreprises
et il faudrait un peu plus de recul pour apprécier les impacts,
mais il manque tout de même une véritable analyse économique.
On touche ici aux limites actuelles de la discipline géographique,
armée pour traiter de l’aménagement du territoire,
des dynamiques territoriales, les implications socio-économiques
et les faits sociaux, de moins en moins apte à mener une étude
économique. Cette absence n’enlève rien à la
qualité et à l’intérêt de ce travail.
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